Les vols de la mort - une exécution illégale

15/07/2022

Les « vols de la mort » sont une forme d'exécution pratiquée au premier abord par l'armée française lors de la guerre d'Algérie ou de la guerre d'Indochine. Elle est ensuite utilisée au cours de la guerre sale pendant la dernière dictature argentine (1976-1983) ou durant la gouvernance d'Augusto Pinochet dans les années 1976.


- Les vols de la mort, un vol sans retour -

Durant la dernière dictature argentine, de nombreux opposants politiques (ou du moins considérés comme cela par le gouvernement) sont traqués, enlevés, torturés et parfois relâchés. Lorsque ces opposants ne sont pas prédestinés à revoir la lumière du jour vivants, ceux-ci sont violemment exécutés dans des centres clandestins de détention ou bien en dehors, par des membres de l'armée argentine.

Chaque mercredi et samedi, les opposants devant être supprimés voient des militaires se poster devant eux et leur indiquer qu'ils seront transportés dans une prison du pays ou bien dans des fermes en Patagonie. De ce fait, il serait nécessaire que ces prisonniers se fassent vacciner pour éviter certaines maladies contagieuses.


- Une procédure suivie à la lettre -

Ils se voient ainsi injecter une dose anesthésique de Penthotal de sodium (l'anesthésiant le plus puissant de l'époque) pour éviter toute rébellion et parfois une seconde dans l'avion (dans des modèles tels que le Lockheed L-188 Electra ou le Short SC.7 Skyvan). Après que l'avion ait pris son envol et survolé une partie de l'océan, le pilote enclenche l'ouverture des trappes et les prisonniers, pour la plupart du temps ligotés avec des ficelles ou câbles au niveau des mains et des pieds, sont jetés vivants à la mer en plein vol, à très haute altitude.

Leur chute est violente. Leur corps sombre plusieurs mètres sous l'eau dans l'océan Atlantique, mais étant sous l'emprise du Penthotal, les victimes n'ont aucun moyen de nager ou de se débattre. Elles ne parviennent pas à garder la tête hors de l'eau et finissent par se noyer au milieu de l'océan alors que l'avion a déjà fait demi-tour et retourne à l'aéroport Jorge-Newbery de Buenos Aires.

Mais quel est l'objectif principal de cette pratique si barbare ? Que les opposants politiques se noient dans l'océan, soient dévorés par des animaux marins, de sorte que les corps ne soient jamais retrouvés et donc considérés comme disparus et non pas tués. De ce fait, il arrivait que des prisonniers déjà morts soient à leur tour jetés dans l'océan afin que leur corps disparaisse.

Certains centres clandestins de détention sont d'ailleurs construits près d'aéroports pour que le transport des détenus vers les avions soit grandement facilité. Tout vol est ensuite minutieusement calculé. Autrement dit, chaque départ d'avion ainsi que chaque arrivée sont prévus à une heure bien précise, ce qu'il est impératif de suivre à la lettre.


- La dérive des corps tuméfiés -

Dans les années 1976 et 1977, plusieurs corps dérivent vers l'Uruguay ou à plus d'une centaine de kilomètres de la capitale de l'Argentine (cela dépend des courants marins). Les médecins légistes qui sont chargés d'examiner les corps retrouvés avant qu'ils ne soient enterrés comprennent rapidement que ces personnes ne sont pas tombées d'un bateau et que cela va bien plus loin qu'un simple accident. Ils se retrouvent face à des corps parfois en décomposition, tuméfiés, violés et recouverts de traces de torture et d'hématomes. 

Certains sont découverts avec de multiples fractures et des membres totalement détruits (jambes, bras ou bien crâne). Des corps sont également retrouvés couverts de trous dans la peau, avec des membres coupés ou bien des traces de décharges électriques. Après une longue analyse, les médecins finissent par déclarer que leur mort serait due à une violente chute, probablement depuis une très grande hauteur. L'origine des victimes, quant à elle, parvient à être attestée grâce aux marques et étiquettes de leurs vêtements quand il y en a mais également grâce aux monnaies ou billets de banque retrouvés dans des poches. 


- Des victimes de tout âge -

De nombreux opposants sont ainsi tués. Nous pourrions citer Azucena Villaflor, l'une des fondatrices du très célèbre mouvement des Mères de la Place de Mai disparue en 1977 dont le corps est identifié en 2005. Mais également Léonie Duquet, une religieuse française disparue en 1977 après avoir fréquenté les quartiers pauvres de la capitale et le groupe d'Azucena Villaflor. Son corps est également identifié en 2005 grâce à des tests ADN. Nous pourrions aussi notifier Alice Domon, une religieuse française, ou Roque Orlando Montenegro, âgé de 20 ans le jour de sa disparition.


- Des procès dans les années 2000 -

Plusieurs procès ont lieu entre 2012 et 2017 pour condamner des faits ayant eu lieu durant la dernière dictature argentine, incluant ainsi par la même occasion les vols de la mort, grâce à l'aide de Giancarlo Ceraudo (photographe italien) et à ses nombreuses recherches. On dénote durant les procès presque 800 chefs d'accusation, des centaines et centaines de témoins appelés à la barre, plus d'une cinquantaine d'accusés et 8 pilotes doivent répondre de leurs actes. Au total, 29 prévenus sont condamnés à la perpétuité et 19 autres ont de lourdes peines de prison.

Adolfo Scilingo, un ancien militaire argentin condamné à la prison à vie pour crime contre l'humanité et pour avoir été un tortionnaire durant la dictature argentine, a déclaré publiquement que les vols de la mort ont bel et bien existé. Et même s'il a permis d'éclairer de nombreux aspects de cette pratique illégale fatale et de mettre davantage de noms sur les responsables militaires et politiques, il n'en reste pas moins convaincu que ses actes avaient du bon.

En 1996, durant une interview, il ira jusqu'à déclarer « je n'ai pas changé de camp. Au contraire ! [...] Je pense que la solution aurait été de faire un procès éclair et de les fusiller [les détenus]. C'est-à-dire, je ne me serais pas senti mal si, au lieu d'avoir jeté 30 personnes endormies et nues, depuis un avion à la mer, je les avais tuées en tant que chef d'un peloton d'exécution en les regardant droit dans les yeux. »


- Des pilotes complices -

Selon Pablo Llonto, l'un des avocats présents durant les procès, il n'y a aucun doute sur le fait que les pilotes des avions militaires étaient bel et bien conscients de leurs actes. Personne ne leur cachait ce qu'ils allaient faire ni même qu'ils allaient jeter des corps dans l'océan. Les pilotes pouvant voir si les portes et trappes étaient ouvertes et contrôlant leur ouverture ainsi que leur fermeture, il était impossible qu'ils ne remarquent pas l'ouverture des portes en plein vol, ce qui fait d'eux de véritables complices.


- Un soulagement pour les familles -

A la fin des procès, Paula Donadio, une jeune femme ayant perdu quatre de ses oncles dans un centre clandestin de détention, indiquera « Ce procès a été très important. [...] il a montré le caractère systématique des enlèvements et des disparitions. [...] C'était un des mécanismes utilisés par les bourreaux pour se débarrasser des corps des détenus qui deviendraient ensuite des disparus. » 

Quant à Dora Loria, cousine de l'une des victimes décédées, clamera sa joie et son soulagement après la décision des juges : « Justice, enfin, une vraie justice. Et perpétuité pour les bourreaux ! Ma seule cousine, fille unique de mes oncles, a été détenue [...] et éliminée dans un Vol de la mort. Elle avait dix-huit ans. »


- Des milliers de décès provoqués -

Finalement, même si aucun chiffre officiel n'a été annoncé, il est estimé que plus de 3 000 « opposants » auraient été jetés des avions (ou hélicoptères) durant les courtes expéditions aériennes des pilotes argentins, plus communément appelées les « vols de la mort » ...


Si vous souhaitez lire mon premier article sur une opération de répression ayant eu lieu durant la dernière dictature argentine, vous pouvez le retrouver juste ici .


Article rédigé par Gaëlle


Sources :

"Los vuelos de la muerte" en Argentina: cómo la justicia busca cerrar una herida tras 45

Los vuelos de la muerte de la dictadura argentina

Le procès des «vols de la mort» durant la dictature argentine (francetvinfo.fr)

Dictature en Argentine: prison à perpétuité pour les «vols de la mort» de l'Esma (rfi.fr)

Les "vols de la mort" vont être jugés pour la première fois en Argentine (lemonde.fr)

Dictature argentine : Les vols de la mort - Le Petit Herge de Buenos Aires 2022. Tout sur l'Argentine

Vols de la mort - Encyclopédie Wikimonde

Les "vols de la mort" face à la justice (europe1.fr)

Memoria de las dictaduras: los vuelos de la muerte en México y Latinoamérica - Rompeviento TV<br>

Vols de la mort. Le déclic d'un photographe - Libération (liberation.fr)

Video. Argentine : la dictature et les « vols de la mort » (revolutionpermanente.com)

Argentine: L'impossible mémoire des vols de la mort (lefigaro.fr)

(113) Entrevista con Adolfo Francisco Scilingo, exmilitar Argentino (I) | Vozpópuli - YouTube

(6) Visión Siete: Detenidos por los vuelos de la muerte - YouTube

Image représentant le mode d'exécution des vols de la mort

Image de quelques unes des victimes des vols de la mort

Photo de membres attachés de victimes des vols de la mort

Photos de membres attachés de victimes des vols de la mort

Photo de l'avion "Short SC.7 Skyvan"

Photo de l'avion "Lockheed L-188 Electra"

Photo de Giancarlo Ceraudo

Photo d'Azucena Villaflor

Photo des religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet

Photo de Roque Orlando Montenegro

Carte de l'Argentine situant l'aéroport Jorge-Newbery

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