La capoeira - son apparition durant l'esclavage
La capoeira aurait été créée au Brésil et développée majoritairement par les esclaves africains importés sur le territoire brésilien par les colons portugais durant l'esclavage. En effet, ceux-ci manquant cruellement de main d'œuvre, ils font arriver en masse de nombreux esclaves afin de les faire travailler dans de grands domaines sucriers ou dans diverses mines d'or et de diamants.
Les historiens estiment que durant cette période (qui débute au 16ème siècle et prend officiellement fin au 19ème siècle) entre 9 et 15 millions d'esclaves auraient été importés depuis l'Afrique (Angola, Congo, Mozambique, Soudan, etc). Le Brésil, quant à lui, en aurait accueilli entre 3,5 et 4 millions, ce qui représente le chiffre le plus élevé en Amérique latine.
- L'arrivée des esclaves africains -
Les esclaves sont transportés dans les cales de navires négriers et entassés les uns sur les autres dans des conditions bien plus que déplorables. Les corps de ceux qui ne parviennent pas à survivre (entre 10 et 15% des passagers meurent par manque d'hygiène) sont très rapidement jetés par-dessus bord, dans la mer, afin de désencombrer les navires et libérer de la place. Quant à ceux qui arrivent épuisés mais saufs sur le territoire brésilien se voient vendus et dispersés par les colons comme de vulgaires marchandises, sans une once de pitié.
En effet, juridiquement parlant, l'esclave est vu et considéré
comme un meuble et non pas comme un être humain maître de lui-même
et de sa vie. Celui-ci n'a donc aucune valeur humaine aux yeux des colons et n'a qu'une seule et unique tâche tout au long de sa vie :
obéir.
Ils sont ensuite envoyés dans les plantations de canne à sucre et de coton ou dans les élevages de bétail. Ils peuvent également devenir miniers pour l'exploitation des mines d'or et de diamants ou domestiques. Affamés et parfois obligés de travailler jusqu'à dix-huit heures par jour, les esclaves sont traités comme de vulgaires animaux ; leurs propriétaires usent de la peur sans une once de scrupule pour les faire obéir, ce qui engendre une oppression physique et psychologique sur l'esclave. Les châtiments corporels sont fréquents, notamment l'usage du fouet, ce qui permet de dissuader toute personne de se rebeller ou bien de tenter de s'enfuir. Cependant, même si les conditions de travail sont majoritairement déplorables et abjectes, elles dépendent et varient selon l'époque, le propriétaire et le lieu.
Le soir tombé, les esclaves sont rassemblés dans des habitations sans aucun confort appelées « senzalas » situées aux abords de fermes pour pouvoir s'y reposer sur de la paille ou bien à même le sol. Ce n'est que dans ces habitations qu'ils peuvent relâcher la pression et tenter de faire perdurer leurs traditions africaines. Ils prient, dansent, et développent par la même occasion leurs techniques d'un tout nouvel art martial : la capoeira.
- La naissance de la capoeira -
A cette époque, les esclaves sont non seulement privés d'apprentissage, mais il leur est également interdit de porter une arme ou bien de pratiquer un sport de combat. C'est à partir de ces interdictions et d'une soif de liberté qu'ils développent peu à peu l'art de la capoeira en empruntant des mouvements acrobatiques issus de danses rituelles et traditionnelles afin de faire passer cet art pour de la danse et non de la lutte aux yeux des colons.
La capoeira traditionnelle serait avant tout inspirée et basée sur des mouvements de la danse africaine nommée le « N'GOLO » ou « la danse du zèbre » utilisée par des peuples angolais (les bantous et les mucupis). Cette danse se déroulerait pendant la fête dite de la « puberté des jeunes filles » ou « l'Efundala ». En effet, dès lors que les adultes considèrent que les jeunes filles sont devenues de jeunes femmes (et sont pour ainsi dire prêtes à être mariées et à avoir des enfants), des hommes s'affrontent un contre un dans un cercle en se servant de leurs pieds ou bien de leur tête jusqu'à ce que l'un d'eux tombe sur le sol. Le vainqueur du combat, jugé comme le plus brave et le plus fort, peut ainsi choisir son épouse parmi les nouvelles jeunes femmes sans avoir à payer de dot. Celui-ci est aussitôt considéré comme celui qui serait le plus apte à prendre soin de la jeune femme choisie, et donc de se marier avec elle.
- Des colons trompés et amusés -
Pendant ce temps, les colons portugais n'ont aucune idée de la réelle signification de la capoeira et sont bien loin d'imaginer qu'il est possible de se battre et de se défendre avec celle-ci lorsqu'ils regardent d'un œil moqueur les hommes africains se balancer d'un pied à l'autre Bien plus tard, les esclaves décident d'accompagner leurs mouvements de musique grâce à de nombreux instruments (berimbau, agogô, pandeiro, atabaque, baqueta, etc.) et de chants, ce qui provoque encore un peu plus l'amusement des colons. Mais l'utilisation de chants et instruments de musique permet également aux esclaves de continuer de rendre hommage à leurs ancêtres.
Il arrive parfois que la capoeira soit présentée aux maîtres portugais pour les distraire sans qu'ils sachent ou bien se doutent le moins du monde que celle-ci est synonyme d'espoir et de liberté pour les esclaves. En effet, ceux-ci prévoient de l'utiliser dans le but de se défendre et ainsi donc d'échapper à leur condition, épuisés par le travail mais également par les mauvais traitements et les châtiments corporels.
- La lueur d'espoir des esclaves -
Grâce à la capoeira, de nombreux esclaves parviennent à faire face et à se battre contre les colons et à s'enfuir. Ils se cachent ensuite le plus rapidement possible sur le bord de chemins derrière la repousse d'herbes sauvages afin de ne pas être retrouvés et créent ou bien rejoignent des « quilombos », des communautés formées d'esclaves en fuite dans des régions reculées où ceux-ci vivent selon leurs propres règles.
Un quilombo est perçu comme un centre de résistance contre l'esclavage ou bien une société cachée qu'il faut à tout prix protéger et conserver. Pourtant, malgré la lutte acharnée des esclaves, certains quilombos sont découverts et détruits par les colons, comme le célèbre Quilombo dos Palmares qui est détruit en 1694 après avoir très longuement perduré. Situé dans l'actuel État d'Alagoas, ce quilombo aurait abrité plus de 30 000 esclaves.
- Des capoeiristes à la guerre -
Durant la guerre du Paraguay (ou La guerre de la Triple Alliance) opposant le Brésil, l'Argentine et l'Uruguay au Paraguay (1864-1870), le Brésil prend la décision d'envoyer de nombreux esclaves et condamnés adeptes de la capoeira faire la guerre et à en revenir vainqueurs s'ils souhaitent pouvoir être libérés. En effet, l'armée brésilienne ne parvenant plus à reprendre le dessus durant l'affrontement, le gouvernement demande aux capoeiristes de revenir gagnants de la guerre s'ils souhaitent quitter définitivement leur condition d'esclave et leur cellule de prison.
Armés de couteaux et de leurs connaissances en capoeira, ils partent et parviennent à aider le pays à ressortir vainqueur de la guerre qui dure six longues années et cause de graves dommages et pertes au Paraguay. En effet, la guerre décime plus de 65% de sa population totale dont environ 90% d'hommes, ce qui déséquilibre fortement la proportion homme-femme dans le pays. Le déclin démographique est à la fois brutal et inattendu.
- Un art martial mal perçu -
Après l'abolition de l'esclavage au Brésil en 1888 grâce à la Loi d'or, la capoeira est très vite mal perçue par les autorités qui la perçoivent comme une terrible menace. Les adeptes de cet art martial l'utilisent pour des actes de vandalisme ou bien pour divers règlements de compte sanglants et violents lors d'affrontements dans la rue. Les anciens esclaves, faisant face à la pauvreté ainsi qu'à la misère, se mettent à piller les commerçants brésiliens et les familles aisées, ce dont l'image de la capoeira souffre atrocement.
Dans les années 1890, le président brésilien Manuel Deodoro da Fonseca prend une mesure radicale et signe une loi interdisant la pratique de la capoeira dans tout le pays. Toute personne dérogeant à cette loi subira ainsi des châtiments corporels voire sera arrêtée et envoyée en prison.
- L'image de la capoeira redorée par des Maîtres capoeiristes -
Malgré l'interdiction de la pratique de la capoeira, celle-ci parvient à perdurer dans le temps et refait véritablement surface en 1930 grâce à Maitre Bimba (Manoel dos Reis Machado). Maître de la capoeira né à Salvador de Bahia en 1900, il présente la « Capoeira Regional », une nouvelle variante de la capoeira, à Getúlio Dorneles Vargas, président du Brésil de 1930 à 1945 et de 1951 jusqu'à son suicide en 1954. Convaincu, celui-ci décide de donner son feu vert et d'autoriser sa pratique mais seulement dans des lieux fermés et non plus dans la rue. Il la proclame par la suite « véritable sport national », la capoeira quitte l'illégalité et peut enfin être enseignée aux yeux de tous.
Les mouvements ainsi que la technique de la capoeira se codifient peu à peu afin que ce sport de combat soit enfin accepté de tous et considéré comme un véritable art martial et non plus comme un sport de combat lié de très près au banditisme et à la délinquance. Maître Bimba ajoute des techniques liées au ju-jitsu, à la boxe et à d'autres arts martiaux et ouvre la première école de capoeira en 1932 à Salvador de Bahia. Le souhait de Maitre Bimba est non seulement d'étendre la capoeira dans le monde entier mais également de transmettre des valeurs liées au respect qui l'habitent et qui lui sont très chères.
En 1941, Maître Pastinha (Vicente Ferreira Pastinha) né en 1889 à Salvador de Bahia développe la capoeira Angola, une nouvelle variante de la capoeira, et ouvre également son école. Il tente à son tour de prouver que la capoeira n'est pas seulement un art martial mais un art de vivre avec ses propres valeurs. Selon lui, le vrai capoeiriste doit respecter les valeurs de la capoeira durant le combat mais également en dehors, et cela tout au long de sa vie.
- Le succès de la capoeira -
De nos jours, il existe différents grands types de capoeira : l'Angola, la Contemporaine ou bien la Regional. Elle est aujourd'hui représentée comme un véritable sport de combat et tente d'initier les pratiquants à de fortes valeurs comme le respect, la tolérance, la solidarité et l'authenticité. Grâce à de nombreux Maîtres tels que Maître Bimba ou Maître Pastinha, cet art martial est parvenu à se populariser, à se démocratiser et à gagner en respectabilité dans le monde entier, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis.
Désormais pratiquée sur différents continents, la capoeira est aujourd'hui classée comme patrimoine immatériel de l'humanité et jouit désormais d'une très grande popularité.
Article rédigé par Gaëlle
Sources :
L'esclavage au Brésil : le travail du mouvement noir | Cairn.info
Découvrez l'histoire de la Capoeira : Tout connaitre (roda-capoeira.com)
traite des Noirs ou traite négrière - LAROUSSE
Paraguay: Le conflit oublié - Jonathan Le Prof
Quilombo (Brésil) - Géoconfluences (ens-lyon.fr)
Origines | ATUAL CAPOEIRA (atual-capoeira.com)
Le cercle de capoeira - patrimoine immatériel - Secteur de la culture - UNESCO
Paraguay, la grande guerre | lhistoire.fr
N'Golo ou Dança da Zebra | Grupo Muzenza de Capoeira
Les origines de la capoeira | Capoeira de Sarre-Union (capoeira-sarreunion.fr)
La capoeira, un art martial pas comme les autres - Guyane la 1ère (francetvinfo.fr)
A dança da zebra | Portal Capoeira
Histoire de la Capoeira - Geração Capoeira Grenoble (geracao-capoeira.fr)
Histoire de la Capoeira - Capoeira sul da bahia France Paris (suldabahia-franceparis.fr)
La Capoeira | Heliconia Amazônia (voyage-amazonie.com)
(39) La journée mondiale de la Capoera - YouTube
Image des esclaves africains pratiquant la capoeira pendant l'esclavage
Image des esclaves entassés dans un navire négrier
Image des esclaves africains pratiquant la capoeira
Image montrant la constitution d'un navire négrier
Image d'un esclave se faisant fouetter par un colon
Image de Brésiliens faisant de la capoeira
Image des instruments utilisés durant un affrontement de capoeira
Carte indiquant la localisation de l'Etat d'Alagoas
Images du Quilombo dos Palmares
(98) Comprendre les origines du Capoeira avec Wilson Cascavel - YouTube