Colonia Dignidad - une colonie allemande au Chili
- Les débuts de Paul Schäfer -
En 1954, alors âgé de 33 ans, Paul Schäfer ancien brancardier et caporal de la Wehrmacht (armée allemande du IIIe Reich) fonde une première communauté et orphelinat en Rhénanie (région de l'Ouest de l'Allemagne) dont l'objectif premier serait d'accueillir et de venir en aide aux enfants allemands devenus orphelins après la guerre. Alors que cela paraît au premier abord à la fois honorable et exemplaire, cette communauté attire rapidement l'attention puisque plusieurs plaintes sont déposées contre Paul Schäfer pour viols, attouchements sexuels et maltraitance sur enfants.
Avant que la justice n'ait le temps d'intervenir, il quitte l'Allemagne et voyage dans plusieurs pays de l'Europe ainsi qu'au Moyen-Orient. Devenu pasteur et assurant qu'il a échangé avec Jésus au sein d'une forêt, il tente de rassembler des fidèles dans le but de créer une nouvelle communauté, mais cette fois-ci uniquement chrétienne.
Après ses nombreux voyages aux quatre coins du globe, il souhaite revenir dans son pays natal mais il modifie ses plans et change aussitôt de destination lorsqu'il apprend qu'il est recherché et qu'il sera immédiatement arrêté dès son retour en Allemagne.
- L'arrivée en Amérique latine -
Paul Schäfer arrive sur le territoire chilien au début des années 60, gouverné par Jorge Alessandri Rodríguez depuis 1958. Il commence alors à fonder à des centaines de kilomètres du sud de Santiago du Chili la « Sociedad Benefactora y Educacional Dignidad » ou « Colonia Dignidad », une communauté sectaire à l'aide de ses nouveaux adeptes et anciens fidèles allemands, dont Hermann Schmidt, ancien pilote de l'armée de l'air du IIIe Reich. Il acquiert une ferme très isolée de plus de 15 000 hectares dans la commune de Parral et y installe sa colonie sous le statut d'association caritative, dont le but serait d'aider les enfants, les jeunes déshérités et orphelins dont la province a été touchée par des tremblements de terre en 1960. Assurant qu'il parviendra à donner une digne éducation aux enfants, de nombreux parents chiliens déposent aveuglément leur progéniture à la colonie afin qu'ils aient accès à une éducation de qualité.
Pourtant, la réalité est tout autre. Paul Schäfer devient un véritable dictateur, un véritable bourreau à Colonia Dignidad et oblige les enfants ainsi que ses fidèles à travailler sans relâche afin que la communauté devienne un véritable Etat, à la fois immense et isolé, au sein de Parral. Une école est construite, des entreprises, un barrage hydroélectrique, mais également un aérodrome et deux pistes d'atterrissage. Le travail n'arrête pas et s'intensifie toujours un peu plus.
- De nouvelles rumeurs au Chili -
De nouvelles rumeurs de pédophilie surviennent en 1962 après la fuite d'un enfant, Wolfgang Müller, qui est très rapidement retrouvé, ramené par la police et torturé à la colonie en gage de punition. Afin de faire cesser les rumeurs et pour que son image ne soit pas trop entachée par ces allégations, Paul Schäfer fait rapidement construire en 1964 un hôpital au sein de Colonia Dignidad et autorise toute famille des alentours à venir s'y faire soigner, nourrir et même habiller.
Des médecins prennent ainsi en charge de nombreuses personnes, mais surtout de jeunes enfants, que certains parents ne reverront plus jamais à la demande du leader, et multiplie les films de propagande. Les jeunes enfants présents sur les vidéos paraissent heureux. Ils chantent en souriant et exhibent leur plus beau sourire à la caméra, ce qui permettra sur le long terme d'attirer les louanges de parents et donc par la même occasion de gagner leur totale confiance. De nouveaux enfants sont déposés à la colonie et la crédibilité de Paul Schäfer se renforce fortement auprès des autorités chiliennes ainsi qu'auprès de la population locale.
- Un enfer grandissant pour les enfants -
Colonia Dignidad s'étend et devient un véritable État allemand au sein du Chili de par ses nombreuses infrastructures. Et même si la communauté semble être une réelle bénédiction pour de nombreuses familles qui croient fermement en la bonté de Paul Schäfer qui paraît être un leader aussi charismatique que bienveillant, les enfants vivent en réalité un vrai cauchemar. Le territoire est entouré de barbelés et de caméras afin de contrôler toute entrée et sortie du camp ; la fuite est quasiment impossible et les garçons finissent pas être séparés des filles. Non seulement Paul Schäfer n'apprécie pas celles-ci, mais il perçoit également les femmes comme des créatures du diable, comme de véritables rivales qu'il ne faut pas approcher.
Cette séparation lui permet de s'approprier tout enfant de sexe masculin, et chaque soir, c'est un nouveau garçon choisi par Paul Schäfer en personne qui doit se rendre dans la chambre du leader afin d'y passer la nuit. Si un enfant désobéit ou ose aller à l'encontre des règles imposées dans la colonie, celui-ci se voit infliger de nombreuses et terribles punitions corporelles (coups de bâtons, électrochocs, etc.) Abus sexuels, viols, travaux forcés, les enfants grandissent dans un environnement malsain, finissent par ne plus avoir aucun contact avec leurs parents et perçoivent malgré tout Paul Schäfer comme une sorte de divinité à qui il ne faut rien refuser.
Les enfants ne connaissent pas le monde extérieur, grandissent entre eux et vivent dans un véritable endoctrinement dont ils ne se rendront compte que bien des années après. Le leader a son mot à dire sur la formation des couples au sein de Colonia Dignidad (ce qu'il n'autorise que très peu), sur le désir des couples d'avoir une progéniture et se réserve même le droit de leur retirer leurs enfants dès le plus jeune âge afin qu'ils ne sachent pas qui sont leurs véritables parents.
- Le rapprochement de Pinochet et Schäfer -
Mais ce n'est que lors du coup d'État d'Augusto Pinochet en 1973 (que Paul Schäfer soutient ardemment) que Colonia Dignidad prend un autre tournant. Le gouvernement chilien se met à accorder de nombreux avantages à la communauté et Colonia Dignidad se voit jouir d'une immunité totale. Très proche idéologiquement d'Augusto Pinochet et en accord avec la dictature qu'il met en place au sein du Chili, Paul Schäfer met sa colonie à sa disposition et devient ami avec le dictateur. Ce nouvel Etat allemand devient très vite complice d'actes de torture, de meurtres de prisonniers politiques, et abrite également des expérimentations chimiques et médicales.
L'aérodrome permet de faire entrer et sortir de nombreuses armes et Colonia Dignidad se met à exploiter le titane dont le territoire chilien a besoin. Des armes y sont fabriquées et la colonie devient une véritable base, un gigantesque camp de concentration où les opposants politiques d'Augusto Pinochet, qui rend d'ailleurs régulièrement visite à Paul Schäfer, sont tués à l'abri de tout regard.
- La communauté à son apogée -
Tortures, meurtres, viols, les délits s'enchaînent et la colonie riposte contre quiconque souhaite dénoncer un abus ayant lieu dans la communauté. Toute personne aidant à réaliser un reportage ou un article concernant ce qui se déroulerait à Colonia Dignidad est persécutée par des membres de la colonie voire même torturée. Pendant ce temps, les hommes continuent de travailler seize heures par jour et se consacrent à l'agriculture ; les femmes s'occupent des tâches ménagères, et des enfants apprennent à danser et chanter pour le plaisir de Paul Schäfer.
La communauté devient avec le temps une véritable entité économique. Les plus-values explosent par le travail forcé et non rémunéré, et les équipements sont de plus en plus à la pointe de la technologie.
- Le départ d'Augusto Pinochet affaiblit la colonie -
Paul Schäfer parvient encore et toujours à échapper aux accusations. Ce n'est qu'au retour de la démocratie, après l'arrivée d'un nouveau président au pouvoir en 1990, Patricio Aylwin, que Colonia Dignidad devient subitement vulnérable et perd son fameux statut d'association caritative. Elle change de nom, devint « Villa Baviera » et tente de continuer à fonctionner convenablement. En effet, Augusto Pinochet n'est plus au pouvoir pour cacher les affaires illicites qui ont lieu au sein de la communauté et les tortures sur les opposants politiques n'ont plus autant lieu d'être pour Paul Schäfer.
- De nouvelles plaintes et une arrestation bien trop tardive -
En 1996, après de nouvelles plaintes pour abus sexuels, Paul Schäfer finit par être condamné pour pédophilie et est accusé d'actes de torture pendant la dictature d'Augusto Pinochet ainsi que de fraude fiscale ; des responsables de la colonie sont condamnés pour agressions sexuelles sur mineurs. Le leader parvient tout de même à s'échapper de Colonia Dignidad avant l'arrivée de la police en 1997 et se réfugie en Argentine pendant plusieurs années.
Il est finalement repéré en 2005, arrêté et extradé au Chili. En 2006, il est condamné à vingt ans de réclusion pour abus sexuels et treize années sont ajoutées pour homicides, tortures et détention d'armes. Il n'est pas jugé coupable pour ses nombreux autres crimes et finit par mourir en 2010 de problèmes cardiaques, soit cinq ans après son arrestation, à l'âge de 88 ans.
- Le centre touristique de Villa Baviera en 2024 -
Aujourd'hui, Villa Baviera existe encore « grâce » à d'anciens membres de la communauté. Certaines parties du terrain ont été vendues et l'ancienne colonie tente de devenir un centre touristique rural grâce à son nouveau centre d'hôtellerie et de loisirs, ce qui suscite de nombreuses critiques de la part de victimes qui y ont grandi.
Selon Gabriel Rodriguez, qui a été détenu une semaine à Colonia Dignidad, « Faire du tourisme dans un endroit dont la mémoire est remplie de morts, d'actes de torture, d'esclavage, de mutilations, ça [lui] semble une aberration, une offense à la mémoire de ceux qui ont souffert ici et qui sont morts », mais l'irritation des anciens enfants de la colonie ne semble pas suffire, puisque Villa Baviera subsiste encore en 2024.
Article rédigé par Gaëlle
Sources :
Colonia Dignidad, la secta alemana que llevó el infierno a Chile | Cultura | EL PAÍS (elpais.com)
Colonia Dignidad, enclave nazie au Chili | Blog sur le Chili (tourisme-chili.com)
« Colonia Dignidad, une secte allemande au Chili », mardi 29 juin sur ARTE (vidéo) (coulisses-tv.fr)
Colonia Dignidad, une secte allemande au Chili (documentaire)
Images de la salle de surveillance et de l'école à Colonia Dignidad
Image de Paul Schäfer avec la caméra
Image de l'entrée de Colonia Dignidad